30 ans déjà…

Un matin d’octobre 1991

Toute jeune et toute frétillante de vie, j’arrive au collège bien avant l’heure. Je voulais me familiariser avec les lieux. Devant ce bâtiment imposant, j’avais « une boule au ventre ». Je monte timidement les premières marches. J’appréhendais cette première rentrée des classes en tant que prof. Je faisais mes premiers pas dans le monde de l’Education et je venais enseigner le français à des élèves à peine plus jeunes que moi.

Arrivée au 3ème étage, Mlle Alice m’accueille à bras ouverts. Elle me fait un grand sourire et me dit des mots rassurants qui sonnent encore dans ma tête: «Bienvenue à toi ! Tu seras bientôt des nôtres, ne crains  rien, tout se passera bien ! » A cet instant-là, je ne me doutais pas que ce bâtiment qui m’avait paru si étrange et si froid ce matin d’octobre m’envelopperait d’une douce chaleur, deviendrait au fil des années mon deuxième foyer, et ferait partie inhérente de ma vie.

Le moment fatidique s’approchait. La première cloche résonne. Les élèves sont là, bien alignés devant une charmante dame bien élégante avec un drôle d’accent. Mme Henriette se retourne vers moi, et me guide vers la salle de classe où j’allais donner mon premier cours. Je rentre. Les élèves entonnent un «Bon-jour ma-de-moi-selle ! ». Une énergie positive communicative se dégageait de ces enfants. Mon premier cours se déroule dans la bonne humeur. Entre mes élèves et moi l’accord était scellé.

J’écris ces lignes, très émue et je vois défiler devant mes yeux toutes ces générations qui jalonnent mes 30 ans de carrière.

C’étaient les années 90, les années de l’après-guerre, notre communauté arménienne sortait des épreuves, plus solidaire, plus unie que jamais. Pendant la guerre civile, Djemaran, ce collège n’avait pas été épargné. Il avait connu toutes sortes de difficultés, mais il avait balayé les obstacles les uns après les autres avec courage et opiniâtreté, résolu  à continuer sa mission, plus déterminé que jamais.

Aujourd’hui, face à cette crise financière et économique que traverse le Liban et qui a entraîné la dépréciation de la monnaie nationale, Djemaran se trouve encore une fois confronté à une situation extrêmement dangereuse et alarmante. Notre collège aujourd’hui ploie sous le joug d’une crise sans précédent. Encore un immense défi qu’il pourra et devra relever et il ressurgira de nouveau car il n’est pas seul. Le collège compte sur le soutien indéfectible des milliers de Djemaranagan, dans le monde. Il n’est pas seul, ses élèves comme leurs parents, le corps professoral et toute la communauté se tiennent derrière lui.

Djemaran, rien ne pourra te fléchir car tu es chargé d’une mission puissante, et tu la rempliras  encore pendant de longues années avec honneur et dignité.

Nelly Der Sarkissian Kiledjian